Le climat change rapidement. Nous devons agir encore plus vite.
Le président de BrainBox AI, Sam Ramadori, nous présente ses réflexions sur les raisons pour lesquelles la vitesse et l’efficacité comptent lorsqu’il est question de lutter contre le changement climatique grâce au déploiement rapide et général des technologies propres immédiatement commercialisables.
Il est trop tard pour éviter complètement la crise climatique. Comme l’indique le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les conséquences de l’activité humaine sur l’environnement sont irréversibles. Pourtant, le même rapport nous rassure : ce triste constat ne veut pas dire que nous ne pouvons rien faire pour ralentir l’inévitable hausse du mercure. Mais nous devons agir maintenant.
Afin de freiner le réchauffement de la planète et de surmonter les obstacles nous séparant d’un avenir durable, nous devons tous prendre des mesures décisives, tant au niveau des gouvernements que des entreprises du secteur privé et des ONG. En plus de l’attention et des ressources substantielles consacrées à des innovations révolutionnaires, le facteur temps de notre lutte contre le changement climatique exige que nous nous concentrions aussi sur l’évolutivité et les défis posés par la mise en œuvre planétaire de nos technologies existantes. Le moment est venu pour ces solutions de franchir les portes des laboratoires et d’être rapidement déployées, ou tous ces efforts auront été vains.
Il existe déjà de nombreuses solutions technologiques accessibles et immédiatement commercialisables pouvant avoir d’importantes retombées positives sur l’environnement, et ce, dans des délais qui correspondent à ceux des engagements pris par les gouvernements du monde entier. Appuyer ces innovations en les finançant, en les adoptant et en les mettant en œuvre devrait être vu comme aussi essentiel que l’invention de nouvelles solutions.
C’est en 1908 que les scientifiques ont observé pour la première fois que si la concentration de CO₂ dans notre atmosphère venait à doubler, la température à la surface de la Terre grimperait de 4 °C. Aujourd’hui, plus de 100 ans plus tard, nous vivons dans un monde qui, sans intervention radicale, devrait atteindre ce seuil quelque part entre 2081 et 2100. Cet avenir pourrait être marqué par l’effondrement des écosystèmes, la transformation du Moyen-Orient en milieu inhabitable pour les humains, et l’aggravation des inégalités de revenu.
Ces sombres prévisions sont reflétées dans un récent rapport du GIEC, qui estime que nous avons jusqu’à l’année 2040 pour réduire considérablement nos émissions. Cette date butoir ne signifie pas que nous pouvons encore procrastiner pendant vingt ans. Elle veut plutôt dire que si nous ne commençons pas dès maintenant à réduire activement nos émissions de CO2, dès 2040, il sera trop tard. De toute évidence, nous devons impérativement agir et déployer des solutions aussi vite que possible. La manière dont nous allons nous y prendre fait encore l’objet d’un vif débat. Le problème est que nous avons passé l’heure des délibérations. Nous devons maintenant passer à l’action.
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la seule façon pour nous d’atteindre nos objectifs de carboneutralité est d’utiliser l’énergie propre et les technologies écoénergétiques. L’AIE est cependant consciente que très peu de ces solutions seront prêtes à temps pour nous permettre d’atteindre nos cibles de réduction des émissions.
En fait, selon le plus récent rapport sur l’innovation dans le secteur des énergies propres de l’AIE, ce ne sont qu’« environ 35 % des réductions cumulées des émissions de CO₂ nécessaires pour passer à une voie durable qui proviendraient de technologies actuellement au stade du prototype ou de la démonstration. Un autre 40 % des réductions reposerait sur des technologies ne pouvant pas encore être commercialisées à grande échelle ». Le rapport poursuit en invitant à des efforts urgents visant à accélérer l’innovation et le déploiement de masse de toutes les technologies propres dont nous disposons.
Ce que bon nombre de gens ne réalisent toutefois pas est que l’accélération de l’innovation et le déploiement des technologies vont de pair. En fait, ces deux éléments font partie de la réaction en chaîne que la nouvelle coalition de Bill Gates, le Breakthrough Energy Catalyst, a été créée pour promouvoir. Afin de réduire ou même d’éliminer ce qu’il appelle le « Green Premium », ou la prime verte en français, le concept repose sur la thèse voulant qu’une modeste injection de fonds dans l’adoption des technologies propres accélère le cycle de production, d’adoption précoce, d’innovation et de réduction des coûts. Chaque partie du cycle dépend de l’autre. Sans financement, il n’y a pas de production; sans production, pas d’adoption précoce; sans apprendre des nouvelles technologies, nous ne pouvons innover et nous faire concurrence, réduisant de ce fait les coûts; et sans réduire les coûts, il est impossible de déployer les solutions à grande échelle. Si un volet est entravé, tout le cycle est perturbé.
Sur le plan financier, des montants d’argent sans précédent sont déjà injectés dans les innovations du secteur des technologies propres, surtout dernièrement. En fait, le président Biden a récemment annoncé un projet d’infrastructure ambitieux, qui prévoit un montant de 73 milliards de dollars pour la mise à niveau du réseau électrique et l’amélioration de l’accès à l’énergie propre. Le Canada n’est pas en reste, avec l’annonce de son intention d’investir plus de 20 milliards de dollars dans les secteurs des technologies propres, de l’économie numérique, des sciences de la santé et de l’agriculture à valeur ajoutée.
Il s’agit bien sûr là de grandes avancées, mais nous devons garder à l’esprit que le financement n’est qu’un maillon de la chaîne. L’injection d’argent dans les technologies propres n’est pas suffisante. Nous devons également les déployer et les adopter à grande échelle. Et c’est là où le bât blesse : l’adoption d’une technologie peut prendre des dizaines d’années. En fait, les nouvelles technologies peuvent prendre plus de 80 ans pour être mises en œuvre à grande échelle. Même l’une des technologies énergétiques les plus rapidement adoptées dans l’histoire récente, l’ampoule à DEL, a mis près de 30 ans pour être largement utilisée.
La lenteur de l’adoption à grande échelle de ces technologies propres réduira notre capacité à apprendre, croître et innover, ce qui aura pour effet de réduire la concurrence et, du même coup, de freiner la baisse des prix, ce qui à son tour ralentira la mise en œuvre. Il convient donc de mettre davantage l’accent sur l’adoption précoce pour passer à une mise en œuvre massive et à une réduction effective des émissions. Cela est possible, et nous devons procéder sans plus attendre.
Nous disposons de certaines technologies évolutives plus méconnues, mais facilement déployables prêtes à être mises en œuvre à grande échelle et normalisées. Ces dernières pourraient avoir d’énormes répercussions au prix d’un investissement et d’efforts minimes.
Prenons l’exemple de Carbicrete, une entreprise canadienne produisant un béton sans ciment et négatif en carbone[MG1] , ou encore de CarbonCure, une entreprise dont la technologie d’injection de CO2 recyclé dans un mélange de béton afin de réduire son empreinte de carbone aurait permis d’épargner 112 792,3 tonnes de ce gaz. Et n’oublions pas l’entreprise britannique Adaptavate, qui utilise des matériaux de construction biocomposites faibles en carbone pour améliorer la qualité de l’air des bâtiments et réduire le carbone incorporé aux nouvelles constructions. Si elles sont adoptées à grande échelle, ces technologies prêtes à l’emploi pourraient s’avérer moins coûteuses que les autres choix à forte teneur en carbone, tout en contribuant de manière significative à la réduction du CO₂ dans notre atmosphère.
Cela est particulièrement vrai dans le cas des technologies reposant sur l’intelligence artificielle, qui utilisent l’apprentissage continu pour devenir plus efficaces au fil du temps. En effet, plus elles sont utilisées, plus leur portée pourrait être importante. Selon, le Capgemini Research Institute, d’ici 2030, l’IA pourrait avoir réduit les émissions de GES de 16 %, et l’on estime qu’elle pourrait avoir aidé les organisations à atteindre 45 % de leurs objectifs en vertu de l’Accord de Paris. Le grand avantage des technologies propres améliorées par l’IA est qu’elles peuvent être déployées rapidement et à grande échelle, ce qui pourrait avoir des conséquences considérables sur la décarbonisation de divers secteurs, en particulier lorsqu’elles sont utilisées pour réduire la consommation d’énergie, qui est responsable de 76 % des émissions de GES dans le monde. Néanmoins, malgré les avantages clairs de l’IA, son adoption par les industries traditionnelles se heurte encore à des obstacles.
BrainBox AI est une entreprise qui propose une solution d’intelligence artificielle évolutive, efficace et prête à être commercialisée. Le logiciel, qui se connecte aux systèmes de CVC existante des bâtiments commerciaux pour les rendre auto-adaptatifs et plus intelligents, est actuellement utilisé dans les pays développés et en développement. Comme elle n’exige aucune dépense d’investissement et offre un rendement du capital investi de plus de 150 %, notre solution tombe manifestement dans la catégorie des options « simple à déployées » et « efficaces », permettant de réduire de jusqu’à 25 % les coûts énergétiques et de 20 à 40 % l’empreinte carbone d’un bâtiment. Cependant, peut-être précisément parce que l’entreprise est à l’avant-garde de l’application de l’IA autonome au secteur de l’immobilier, elle est également aux premières loges des défis auxquels les nouvelles technologies sont confrontées pour la mise à l’échelle et l’adoption massive de leurs produits.
Les grands enjeux qui pourraient venir freiner une adoption rapide des nouvelles technologies s’articulent autour de la lourdeur du changement organisationnel et sectoriel. Sur le plan organisationnel, nous observons une tendance chez les conseils d’administration et des cadres supérieurs à s’intéresser de plus en plus aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), stimulée par la priorité accordée par la communauté des gestionnaires d’actifs à ces derniers dans les choix d’investissement. Toutefois, aussi bien intentionnés les plans de ces conseils et cadres soient-ils, la mise en œuvre de ces initiatives par le personnel de première ligne ne s’accomplit pas assez rapidement. Une cadre supérieure peut voir une partie de ses primes liées aux objectifs ESG, mais un travailleur de première ligne ne voit souvent que les risques et les inconvénients lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre de nouvelles technologies. Afin de remédier à la situation, les entreprises doivent absolument donner à leur personnel de véritables incitatifs en ce qui a trait aux initiatives carboneutres. Omettre d’agir ainsi ne fera que ralentir la concrétisation des objectifs de décarbonisation, ce que notre planète ne peut se permettre en ce moment.
Le deuxième défi qui ralentit l’adoption des technologies se situe au niveau sectoriel. En termes simples, certains secteurs s’adaptent plus facilement au changement que d’autres. Malheureusement, ceux qui ont le plus besoin de se transformer, les secteurs les plus « traditionnels » comme l’acier, le ciment, les transports et la construction, sont généralement les plus lents à adopter les nouvelles technologies. La rigidité bien connue du secteur de l’énergie est un autre bon exemple. Alors qu’il s’oriente vers les énergies renouvelables par simple force économique (elles sont désormais officiellement moins chères que les combustibles fossiles), il existe une inertie importante en ce qui concerne la modernisation des réseaux énergétiques nécessaire pour faire face à cette évolution spectaculaire. Cette refonte aussi importante que nécessaire des infrastructures exige une intervention politique rapide des gouvernements, du secteur privé et des ONG afin d’accélérer tangiblement l’adoption des technologies propres.
Tandis que nous avançons dans le déploiement et l’évolution de notre technologie, nous nous engageons à présenter les succès et les défis que nous rencontrons en cours de route en tant que petite entreprise cherchant à changer le visage du secteur immobilier. Nous espérons qu’en parlant de nos expériences, nous serons à même d’aider d’autres jeunes entreprises du secteur des technologies propres cherchant à prendre de l’expansion sur la scène internationale. Nous souhaitons aussi ainsi prêter main-forte aux gouvernements et aux décideurs prêts à mettre en œuvre des approches qui pourront véritablement promouvoir l’adoption à grande échelle des solutions offertes par le secteur à l’échelle mondiale.
En résumé, quoique le nombre de technologies propres prêtes à être commercialisées augmente rapidement, des obstacles majeurs en matière de mise en œuvre et d’adoption doivent être surmontés, faute de quoi le monde se retrouvera avec de nombreux projets scientifiques intéressants, mais qui n’auront que peu de conséquences concrètes sur le terrain. Bien sûr, il est plus que jamais nécessaire d’investir dans le développement d’innovations technologiques, mais l’accent ne peut être mis uniquement sur le financement de ce type de projets. Des efforts supplémentaires axés sur l’adoption et la mise en œuvre à grande échelle des technologies propres sont désormais nettement nécessaires. Les termes « vitesse » et « efficacité » doivent entrer dans notre vocabulaire, au même titre que « innovation technologique propre » lorsque la lutte contre le changement climatique est devenue une réalité.